
Presque tous les patients qui viennent consulter ont des troubles du sommeil, que ce soit des difficultés d’endormissement, des réveils nocturnes ou un sommeil vécu comme peu reposant. Longtemps j’ai considéré ce symptôme comme une expression du mal-être du patient à travailler comme un autre. Depuis quelques temps, j’ai choisi une approche différente.
En effet, on sait à quel point les troubles du sommeil sont délétères: ils diminuent la résistance physique et psychique, augmentent la sensibilité, l’irritabilité et l’impulsivité, et ils peuvent même avoir un impact non négligeable sur les envies et passages à l’acte suicidaires. Et en même temps, les troubles du sommeil sont une porte d’entrée privilégiée lors de la thérapie, car ça permet souvent d’accéder à l’émotion en lien avec le vécu qui a besoin d’être travaillé. Mettre le focus sur ce vécu permet alors de cibler ce qui aura le plus de chance d’avoir un impact sur l’entier du système et donc sur le fonctionnement au quotidien.
Ce que je vais amener par la suite reste du domaine des hypothèses, basé uniquement sur mon expérience de thérapeute. Il serait intéressant de mener une étude de manière valide et fiable afin de les vérifier. Cela dit, son efficacité s’est jusqu’à maintenant très souvent confirmée dans ma pratique clinique.
Souvent les patients associent les troubles du sommeil au stress, à des ruminations mentales, à des inquiétudes spécifiques ou ne comprennent tout simplement pas pourquoi ils en souffrent. Ils semblent démunis face à ces troubles comme ils semblent démunis face à leurs émotions en général. Et une façon efficace de ne pas s’attarder sur ses émotions, c’est d’agir. Notre monde actuel propose une multitude d’excuses pour rester dans l’action au point que même les enfants ne savent généralement plus s’ennuyer. Et pourtant, c’est quand on a le temps, quand on s’arrête, qu’on prend le temps justement d’être avec soi, d’apprendre à se connaître, à se comprendre, à s’écouter. Le seul moment où l’on accepte que l’action s’arrête, c’est lorsque que nous allons nous coucher et l’idéal serait alors de s’endormir dans l’instant. Pour ne pas perdre de temps…pour ne pas être trop qu’avec soi.
Mais c’est aussi le premier moment que l’on offre à son corps, à son esprit, pour être présent à soi. Viennent alors toutes les pensées, toutes les émotions qui parsèment notre existence sans avoir le temps d’être à un autre moment de la journée. Certains me disent être très serein pendant la journée et angoisser la nuit, mais en y regardant de plus près, l’angoisse est une compagne au quotidien, qui est juste moins bruyante que l’activité de la journée.
Je propose alors souvent à mes patients de prendre soin de leurs émotions. C’est un concept qui est fréquemment vécu comme bizarre, voire incohérent au départ. Les émotions se maîtrisent, se gèrent, se contrôlent. Il paraît…Personnellement je sais maîtriser, gérer et contrôler mes comportements, c’est-à-dire l’expression de mes émotions. Mais mes émotions, elles existent, c’est tout. Elles sont là que je sois d’accord ou pas, elles m’accompagnent, qu’elles y aient été invitées ou non.
Les enfants sont souvent plus vite preneurs de ce concept, car au fond d’eux, ils savent bien que leurs émotions, ils ne les gèrent pas. Ils les cachent juste, parce que c’est bien plus simple de fonctionner comme ça avec les adultes. Et adultes, on les oublie, parce qu’on croit que c’est bien plus simple de vivre sans. Mais vivre déconnecté de ses émotions, c’est vivre sans une multitude d’informations sur soi. Informations qui sont tellement importantes pour être bien avec soi.
On définit généralement 6 émotions de base (je prends ici la définition de Paul Ekman, le nombre d’émotions définies variant selon les auteurs). La joie, la colère, la tristesse, le dégoût, la peur et la surprise. En thérapie, les 3 émotions le plus fréquemment travaillées sont la peur, la colère et la tristesse.
Avez-vous déjà essayé de prendre soin de vous quand vous êtes triste, angoissé ou fâché ? Que faites vous alors ? Et si vous imaginiez ces émotions, vos émotions, comme distinctes de vous, comme en discussion avec vous, qu’auriez-vous envie de leur dire ? Et que pourriez-vous leur dire d’efficace ? J’apporte ici la notion d’efficacité car nous sommes très doués, lorsque nous acceptons de discuter avec nos émotions, d’avoir des conversations stériles. On sait bien quel effet cela nous fait lorsqu’on est fâché et que quelqu’un nous dit : « Calme toi ». On peut réagir de deux manières : soit on laisse libre cours à notre colère de frustration face à une telle incompréhension, soit on se tait par convention sociale. Mais on ne se sent pas plus calme. Et quand on se dit qu’on va prendre soin de soi, prendre du temps pour soi, on se retrouve souvent dans l’action : que ce soit dans la salle de sport ou au spa.
Prendre soin de ses émotions, c’est tout d’abord les entendre. Laquelle s’exprime? Où est-ce qu’elle s’exprime ? Comment elle s’exprime ? Puis les écouter. Est-ce la colère qui pointe du doigt une injustice ? Est-ce la peur qui nous prévient d’un danger (réel ou imaginé)? Est-ce la tristesse qui nous parle d’une perte, d’un manque, d’une absence ? De quoi ont-elles besoin ? De crier, de réconfort, de sécurité ?
Chaque patient trouve alors ses propres pistes pour prendre soin de ses émotions. Peut-être que ce sera de coucher sa colère sur une feuille. Peut-être que ce sera de partir se réfugier dans son Safe Place. Peut-être que ce sera de sortir sa liste de petits bonheurs et de s’en offrir un ( un thé chaud sous une couverture douce, le bruit de la pluie sur les vitres, une marche sous les étoiles, une glace au bord du lac…). Peut-être que ce sera de sortir sa boîte à compliments. Tous les peut-être qui nous rappellent qu’on a les ressources pour prendre soin de nous, et que c’est souvent cela dont on a besoin.
Accueillir son émotion, écouter le message qu’elle nous donne et y répondre pour lui donner l’importance qu’elle mérite, afin de s’offrir un temps de repos nécessaire.
Il faut bien entendu tenir compte de la gravité des troubles du sommeil. Quelqu’un qui en souffre depuis des semaines, des mois, voire des années, aura peut-être besoin d’une aide médicale momentanée pour retrouver un cycle normal afin d’avoir les ressources pour entrer en lien avec ses émotions. Demander patience, écoute et compréhension à quelqu’un d’épuisé peut s’apparenter à une démarche impossible…Sur le moment. Mais dès que la personne retrouve quelques ressources, elle peut découvrir comment s’écouter et prendre soin d’elle.
Ainsi je pense que prendre soin de ses émotions, en les reconnaissant et en les accueillant, en écoutant leur message et en leur donnant une réponse efficace, permet peu à peu de s’offrir des nuits de plus en plus paisibles et reposantes. Et une nuit de cette qualité permet d’appréhender la journée suivante avec plus de ressources, de distance et de respiration.
Fanny Joubert
Merci à Clara, Blerta, Camillia, Kiara, Sylvain, Camille, Rafaela et tous les jeunes qui me donnent la chance de travailler avec eux au quotidien. Merci à Kevin pour son étincelle : « tu traites les troubles du sommeil ? Faudra qu’on en parle « . Merci à Harmony, Éric et tous mes collègues avec qui je peux travailler dans la confiance et l’humour. Merci à mon mari, mon pilier.